L’artiste est-il la personne la mieux placée pour parler de son oeuvre ?

 

Premièrement, qui peut parler le mieux d’une oeuvre ?

L’artiste ou le spectateur (ou le critique qui n’est après tout qu’un spectateur). L’artiste a fait l’oeuvre. Le spectateur ne fait que la recevoir.

Mais l’artiste se comprend-il ?

 

Si l’on se réfère à Platon, l’artiste n’est pas responsable de son oeuvre, il l’a fabriquée, mais il n’en est pas l’auteur. En effet, l’inspiration lui a été donnée par un dieu. L’artiste n’est alors qu’un fabriquant, il a utilisé des techniques pour fabriquer un objet. Pour Platon, l’artiste n’est que l’instrument du divin. On peut considérer de cette façon que pratiquement l’artiste et le spectateur sont à égalité face à l’oeuvre. L’un comme l’autre regardent l’oeuvre de l’extérieur.

L’artiste n’a alors comme avantage pour parler de son oeuvre que le côté technique de la réalisation. Il pourra parler de son oeuvre en tant que détenteur d’une technique, il pourra expliquer comment il a obtenu telle ou telle couleur, quelle pierre il a taillée.

Mais il ne pourra pas dire pourquoi il a fait cela, puisque c’est l’Inspiration qui l’a guidé. Le spectateur, quant à lui pourra parler des effets que produit l’oeuvre sur lui, admirer la qualité de la réalisation. Dans l’antiquité, il n’y a pas de textes théoriques des peintres, ce sont les penseurs qui écrivent sur l’art.

Depuis, de nombreux artistes ont écrit sur leurs oeuvres des textes théoriques. En 1937, lorsque Paul Valéry fait son discours d’introduction au cours de poétique qu’il va donner au Collège de France, il signale que l’artiste peut être influencé dans son travail par des éléments extérieurs, dont il n’est pas conscient, et qui interviennent dans son oeuvre.

On peut en déduire que si l’artiste parle de son oeuvre, il omet des éléments de son travail involontairement. Trop proche de son oeuvre parce que personnellement et totalement impliqué, l’artiste n’a pas alors suffisamment de recul pour pouvoir parler de son oeuvre. Il se peut que le spectateur, qui découvre l’oeuvre pour la première fois, se rende compte d’éléments entrant dans la composition de l’oeuvre et puissent en parler, alors que l’artiste les aura fait intervenir de façon instinctive.

Il se peut aussi que l’artiste ne veuille pas parler de son oeuvre, peut être par modestie ou pour augmenter le mystère autour de l’oeuvre, ou par mépris du discours.

 

Cependant, de plus en plus, les artistes rédigent des textes théoriques sur leu travail. Les artistes parlent de leurs oeuvres, on peut citer nombre d’écrits d’artistes : Klee, Kandinsky, Morris, etc. Tous ces écrits parlent de leur oeuvre en terme d’intention, parfois de manifeste. L’artiste explique alors son oeuvre en tant que créateur, auteur d’une production dans laquelle il a placé des intentions.

En tant qu’auteur d’une oeuvre, l’artiste est bien placé pour parler de son oeuvre, il en est le fondateur, il peut donc parler de ses choix et de ses intentions.

 

C’est ce que fait Edgar Poe dans un texte où il explique la formation d’un poème et tente de démontrer que rien dans la conception de ce poème n’a été fait par hasard, que toute chose est maîtrisée.

Dans ce cas, Edgar Poe nous dit qu’il part d’un effet à obtenir et qu’il construit son poème autour et afin d’atteindre cet effet. Il démonte totalement son processus de création.

On peut penser qu’ici l’artiste est le mieux placé pour parler de son oeuvre.

 

Cependant, on peut se demander si le processus de création décrit par Edgar Poe n’est pas exagérément mathématique et n’a pas été théorisé après la réalisation du poème. En gros, a-t-il réellement pensé à toutes ces étapes qu’il décrit dans son explication, lorsqu’il a composé son poème.

N’est ce pas plutôt le désir de montrer ou de démontrer qu’il est l’auteur incontestable, maître absolu de chaque mot de son poème, qui l’a poussé à écrire et rechercher une explication démontrable et mathématique de son poème. (Il n’a pas expliqué cependant ce qui l’a poussé à écrire les premiers mots autour desquels son poème est construit. Il reste donc une zone d’ombre au départ de son explication).

 

Ainsi on peut se demander si l’artiste est la personne la mieux placée pour parler de son oeuvre. En fait, il semble que cela dépende du point de vue que l’on veut avoir sur l’oeuvre. Si on considère l’artiste en tant qu’auteur, on peut se dire qu’il est le mieux placé pour parler de son oeuvre du point de vue de ses intentions, de ce qu’il a voulu faire, par quels moyens il a voulu rendre compte de ses intentions. En fait, l’artiste pourra parler de son cheminement l’ayant conduit à réaliser son oeuvre.

Si on considère l’artiste vu par Platon, l’artiste ne peut alors parler que des caractéristiques techniques de l’oeuvre, il n’est peut-être pas alors le mieux placé pour parler de son oeuvre.

Au contraire, si l’on veut avoir un point de vue extérieur à l’oeuvre, alors l’artiste est peut-être trop impliqué, il n’a pas peut-être pas le recul suffisant pour parler de son oeuvre. Ainsi ce serait le spectateur qui pourrait rendre compte des effets que produit l’oeuvre sur lui.

Philippe Monfouga (c)20000112